La démarche d’Intervention précoce (IP) est un processus dans lequel l’entreprise s’engage formellement. L’impulsion de départ peut être proactive, en général sur la base d’un mandat provenant généralement d’une instance décisionnaire haut placée (ex. la direction). Mais elle peut également être réactive, car faisant suite à une situation particulière. L’impulsion peut alors provenir d’autres acteurs (ex. RH, service de santé au travail, personnel). Ils peuvent recommander l’instauration d’une démarche et le cas échéant, éventuellement la piloter. Dans tous les cas, il est important que les objectifs, les rôles et les étapes soient clairement définis en amont et connus par les parties impliquées.

Quelques questions centrales devraient guider l’aménagement des conditions cadres :

• Quelle est la culture actuelle d’entreprise en matière de santé mentale et de conduites addictives (ex. consommation d’alcool lors d’évènements festifs)
• Quelles sont les règles internes ou directives préexistantes, thématisant de différentes manières la santé au travail (ex. lutte contre la discrimination/stigmatisation au travail, risques psychosociaux, substances addictives) ? Quels sont les thèmes qui ne sont pas couverts et pourquoi?
• Quels sont les objectifs généraux visés que la démarche IP permettrait d’atteindre (ex. réduire les coûts liés à l’absentéisme et au présentéisme, disposer d’un climat de travail favorable)?
• De quelles ressources internes ou externes dispose-t-on (ex. spécialistes de la santé, RH, budget) ? Quelles organisations de la région pourraient apporter un regard extérieur à ce stade (ex. organisations du domaine de la prévention des addictions)?
• Quelle est la feuille de route pour déployer la démarche IP (ex. planification)?
• Quelles sont les parties prenantes et quels sont leurs rôles (ex. qui pilote la démarche, qui établit un état des lieux formalisé des conditions cadres, quels sont les acteurs de niveau opérationnel touchés)?

Dans le cadre de l’aménagement des conditions cadres pour mettre en œuvre une démarche IP en entreprise, il est important de garder en tête la chose suivante : l’entreprise doit se limiter à ce qui concerne… l’entreprise. C’est ce sur quoi elle a un impact direct qui est placé au centre de l’attention et de l’action : conditions de travail, charge de travail, règles en vigueur, etc. L’entreprise ne peut pas se substituer à d’autres acteurs (ex. services de conseil externes, Case Management, programmes d’aide aux employés).

Ici, il est question de repérer le plus tôt possible, et de façon systémique, les signes et indicateurs de problèmes émergents auprès des personnes et des groupes. Il est important de relever qu’avant l’émergence d’une conduite addictive, il faut accorder de l’attention à divers indicateurs précurseurs relevant, plus globalement, de l’état de santé mentale.

Quelques questions centrales devraient guider la démarche de repérage précoce. Exemples:

• Quels seraient les signes et indicateurs auxquels prêter particulièrement attention (ex. mal-être, retrait progressif et isolement, fatigue cognitive, difficulté à se concentrer, sauts d’humeur, baisse de la qualité et de la performance)?
• Comment organiser différentes observations pertinentes (ex. augmentation des arrêts maladie d’une équipe de l’entreprise), tout en respectant les règles en matière de protection des données?
• Quelle est la posture commune à adopter dans l’entreprise (ex. «Je suis témoin, je réagis»)? Dans quelle mesure est-elle en phase avec la culture d’entreprise (ex. entreprise au fonctionnement individualiste)?
• Est-ce que les parties prenantes – en particulier les supérieurs hiérarchiques et RH – ont les moyens de repérer lesdits indicateurs?
• Ces mêmes parties prenantes sont-elles capables d’appréhender une situation avec la personne concernée (ex. connaitre les obligations légales en fonction de la situation, savoir exprimer des observations, faire preuve d’objectivité) ? Si ce n’est pas le cas, qu’est-ce qui devrait être mis en place pour y remédier (ex. formation, accompagnement par des spécialistes)?
• Qui sont les personnes clés de l’entreprise devant particulièrement porter la démarche et agir pour impliquer l’ensemble du personnel dans la démarche (ex. une commission du personnel)?

Le repérage précoce doit amener différents acteurs à s’organiser au sein de l’entreprise de sorte à pouvoir croiser les informations et échanger. Ce travail nécessite un contexte se prêtant à l’exercice (ex. bonnes relations entre les acteurs, esprit de collaboration).

Il est important que cette démarche soit faite de façon bienveillante et non stigmatisante par l’ensemble des personnes. Être à l’écoute est central et s’inscrit dans la philosophie de la démarche d’IP.

Au niveau interpersonnel, il est délicat de trouver la bonne posture et les questions pertinentes. La baisse de qualité du travail fourni par la personne concernée donne la légitimité nécessaire à l’employeur pour aborder la question (le contrat n’est pas respecté!). Ci-dessous, quelques principes et questions peuvent servir de base d’orientation:

• Aborder des observations : «J’ai remarqué que vous étiez en retard dix fois depuis le début du mois. Pouvons-nous en parler?»
• Partager des inquiétudes: «Je me fais du souci pour vous. Comment allez-vous?»
• Rappeler les devoirs et attentes: «Votre travail consiste à faire XY et je dois m’en assurer»
• Eviter un ton négatif, stigmatisant, autoritaire ou paternaliste: «Vous êtes toxicomane!»

Une appréciation globale des facteurs de risques et de protection sur le plan individuel, collectif et institutionnel, tenant compte de la dynamique entre ces différentes dimensions, est un travail constitutif de la démarche d’IP.

Il s’agit notamment de mettre en évidence les conditions de travail générant un impact négatif ou au contraire positif sur la santé des personnes (ex. santé mentale). L’analyse permet d’établir dans quelle mesure de rectification de ces conditions serait nécessaire.

Quelques questions centrales devraient guider la démarche d’appréciation de la situation. Exemples :

• Quels sont les facteurs de risques identifiés qui risquent de créer un déséquilibre entre les ressources et les contraintes (= mécanisme du stress) liées au travail (ex. manque d’autonomie, surcharge de travail, faible reconnaissance, exigence émotionnelle, gestion inadéquate des changements)?
• Quels sont les effets que l’on souhaite éviter au niveau individuel (ex. problèmes de santé psychique ou physique)?
• Quels sont les effets négatifs que l’on pourrait éviter au niveau de l’entreprise (ex. risque d’accidents, baisse de la productivité ou de la satisfaction)?
• Quels sont les ressources ou facteurs de protection identifiés (ex. charge de travail adaptée, sécurité psychologique, conciliation vie privée / vie professionnelle, utilité, horaires adéquats)?
• Comment est-ce que ces facteurs s’influencent entre eux (ex. un métier combinant du surmenage et une absence de récupération peut favoriser un usage compensatoire de substances pour tenter de se réguler)?
• Quelles seraient les pistes à explorer et les niveaux sur lesquels agir pour renforcer les facteurs de protection et réduire les facteurs de risque (ex. la marge de manœuvre dans l‘organisation des tâches)?

Il est important de retenir que si l’environnement de travail peut influencer un employé (ex. sa santé au sens large), l’inverse est également possible. L’environnement évolue en fonction des différents facteurs qui l’influencent

Dans le cadre d’une entreprise, quelle que soit sa taille, des mesures en faveur de la santé peuvent être identifiées, élaborées puis mises en place. Il en existe une grande diversité. En effet, elles peuvent concerner les niveaux individuels, collectifs et institutionnels. Chaque entreprise étant différentes, il n’existe pas de formule magique fonctionnant partout. La nature et la combinaison des mesures à retenir dépend de différents facteurs (ex. taille, secteur/activité, ressources, situation de départ, objectifs). Ainsi, le sur-mesure reste la voie incontournable.

Il est important que les facteurs de risques à réduire, ou les facteurs de protection à renforcer, soient clairement identifiés dans le cadre des mesures choisies (objectifs clairs)

Vous trouverez une sélection de mesures sous «Mesures possibles».

Quelques questions centrales devraient guider la mise en œuvre des mesures. Est-ce que les mesures choisies :

• Correspondent à la réalité de l’entreprise (ex. taille, secteur d’activité, ressources, région culturelle ou linguistique)?
• Sont en adéquation avec les objectifs visés?
• Respectent l’autodétermination et la capacité d’agir (ex. pas de paternalisme)?
• Bénéficient de conditions cadres favorisant leur implémentation (ex. ressources, répartition des rôles)?
• Viennent remplacer ou compléter d’autres mesures (ex. règlement obsolète ou plus en phase avec la nouvelle configuration de l’entreprise)?

De façon générale, la formation des cadres est une mesure importante – ex. savoir conduire un entretien avec une personne potentiellement concernée par un comportement à risque (voir vidéo « comment aborder la situation »). Il s’agit de personnes-clés disposant à la fois du pouvoir de décision et du choix de l’allocation de ressources permettant de renforcer la santé en entreprise.

Il est important de garder en tête que l’impact des mesures se fera ressentir si 1. Leur action est complémentaire (combinaisons!) 2. Une régularité s’installe (ex. formation annuelle des cadres).

Dans le processus de sélection et d’implémentation des différentes mesures, l’accompagnement par une organisation externe spécialiste disposant d’une expertise dans la santé au travail apporte une véritable plus-value (ex. regard neutre). Le niveau d’accompagnement peut être de différents niveaux, ces organisations étant habituées au sur-mesure (ex. conseil téléphonique, travail de retour sur un plan de mesures, création d’un ensemble de mesures, etc.).

Une fois les mesures implémentées, il est important de procéder à leur évaluation. Il peut s’agir tant de l’accompagnement d’un collaborateur souffrant d’une addiction, que d’une politique de prévention de la violence, du harcèlement moral ou sexuel au travail. Dans tous les cas, la démarche doit permettre de comprendre dans quelle proportion une situation s’est stabilisée, voire améliorée.

Selon la mesure évaluée, on se trouve à différents niveaux : individuel, collectif ou institutionnel.

Quelques questions centrales devraient guider la démarche d’évaluation. Exemples :

• Les besoins étaient-ils identifiés et les objectifs clairement formulés dès le départ (ex. «Réduire le surmenage des équipes afin de préserver leur santé et favoriser une performance durable»)?
• L’intervention était-elle adaptée à la culture, à la taille et au secteur d’activité de l’entreprise?
• Les ressources (ex. humaines, financières, temporelles) étaient-elles suffisantes et spécifiquement utilisées pour les mesures prévues?
• Les responsables RH/hiérarchiques se sentent-ils mieux outillés pour agir (ex. savoir faire face à une situation)?
• A-t-on observé les changements attendus dans les comportements (ex. respect des objectifs formulés avec la personne concernée dans le cadre d’une situation individuelle)?
• L’intervention a-t-elle permis de mettre en place des changement observables et durables (ex. baisse des arrêts maladie, meilleure productivité, etc.)?

L’évaluation peut être menée par les membres de l’entreprise qui ont mis en œuvre la mesure (ex. RH). Il est également possible de faire appel à un organisme externe. Dans tous les cas, toute personne concernée de près ou de loin par l’objet de l’évaluation doit être intégrée au processus, afin de bénéficier des points de vue différents. Ainsi, dans le cas d’une personne dont un changement était attendu (ex. arrêter de venir en état d’ébriété au travail), l’implication de cette dernière à tous les stades de la mesure est essentielle – évaluation comprise!

Les résultats de l’évaluation peuvent mener à la clôture définitive d’une intervention (ex. rétablissement des capacités de la personne concernée). Dans d’autres cas, ils peuvent amener à poursuivre certaines mesures, à en adapter d’autres, ou à réévaluer l’ensemble de la situation (ex. on remarque qu’une politique interne comprenait des lacunes ; la personne concernée aurait besoin d’aménagements supplémentaires). Enfin, certaines mesures (ex. formation annuelle des cadres) méritent d’être répétées, car c’est un facteur de réussite de la prévention.

Durant la phase d’évaluation, la communication des résultats et des éventuelles suites, envers toute personne concernée par l’intervention ou la mesure, est nécessaire.